Alzheimer, la maladie oubliée… par l’industrie pharmaceutique
La semaine dernière avait lieu la journée mondiale contre la maladie d’Alzheimer… ce qui m’a donné envie de m’intéresser aux laboratoires et aux biotechs qui luttent contre cette maladie dégénérative.
Quelles sont les nouvelles pistes de la recherche ? Quels laboratoires sont en pointe de ce combat ? Quelles sont les pistes à suivre, en tant qu’investisseur, pour participer à cette lutte ?
Vu l’ampleur de la maladie (j’y reviens dans un instant), on pouvait légitimement supposer que les équipes de recherche et les laboratoires seraient fortement engagés dans la lutte contre Alzheimer. Et que nous n’aurions que l’embarras du choix pour investir sur les laboratoires et les biotechs qui vont commercialiser des traitements innovants.
Malheureusement, ce n’est pas si simple que cela. C’est ce que je vous propose de voir aujourd’hui.
Quelques chiffres d’abord pour saisir l’ampleur des enjeux.
Aux seuls Etats-Unis, Alzheimer – une maladie neurodégénérative qui affecte progressivement les fonctions cognitives et motrices des patients – touche actuellement cinq millions de personnes. Son coût économique est quant à lui estimé à 200 milliards de dollars chaque année. Avec le vieillissement de la génération du baby-boom, ce sont 15 millions d’Américains qui seront atteints en 2050. Pour un coût annuel estimé à 1,2 milliard de dollars.
En France, près d’un million de personnes sont touchées, et 47,5 millions dans le monde pour un coût estimé, en 2015, à 818 milliards de dollars.
Des dizaines de millions de personnes atteintes autour du monde, un coût sanitaire et social qui explose… et aucun véritable traitement efficace : voilà l’équation d’Alzheimer.
Alzheimer, la mal-aimée des pharmas et des biotechs
Alzheimer est donc un des fléaux de notre époque. Un fléau qui progressera au fur et à mesure que la population mondiale vieillira.
Je vous le disais en introduction, vu l’ampleur du marché (et de sa croissance), la recherche devrait être particulièrement active.
Soyons cyniques un instant : un traitement efficace contre cette maladie rapportera des millions voire des milliards de dollars au laboratoire qui le commercialisera. Selon le Financial Times, le marché des médicaments et des diagnostics dédiés à Alzheimer se montait déjà à 5,8 milliards de dollars en 2010 et pourrait atteindre les 14,5 milliards en 2020.
En outre, face au poids économique que représente la prise en charge des malades, les systèmes de santé privés comme publics n’hésiteront pas à mettre la main à la poche.
La lutte contre Alzheimer devrait donc intéresser les big pharmas comme les petites biotechs. Les essais cliniques devraient se multiplier, les investissements se déchaîner…
Mais ce n’est pas le cas.
Les laboratoires – big pharmas comme biotechs – se montrent même étonnamment réticents à se lancer dans la recherche de nouveaux traitements contre Alzheimer. Aux Etats-Unis, chaque année, ce sont environ six milliards de dollars qui sont investis dans la recherche contre le cancer, quatre milliards contre les maladies cardiaques… et seulement 500 à 600 millions dans celle contre Alzheimer.
En 2013, seuls 74 médicaments étaient en cours de test – neuf portant sur le diagnostic de la maladie et 64 sur son traitement.
Sur ces 64 traitements, la très grande majorité n’était qu’en phase 1 et 2 des essais cliniques… Autant dire que les chances qu’un nouveau traitement arrive sur le marché dans les années qui viennent sont assez réduites.
En outre, sur la poignée de médicaments autorisés aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe, aucun ne soigne vraiment la maladie, tous ne font qu’en retarder ou en limiter les effets.
Pourquoi une telle réticence ?
Parce que les statistiques sont là : entre 1998 et 2011, sur 104 essais menés pour traiter la maladie, seuls trois médicaments ont été autorisés. Ce qui signifie que 101 ont été des échecs.
Sachant que le coût de développement d’un traitement se monte, en moyenne, à 1,2 milliard de dollars, vous comprenez pourquoi les laboratoires ne se bousculent pas au portillon pour proposer de nouveaux traitements contre Alzheimer : les risques d’échec sont trop élevés et le coût financier trop important, et ce malgré la multiplication des efforts des Etats pour financer la recherche – j’y reviendrai.
Si la recherche contre Alzheimer est si complexe, c’est que les causes mêmes de la maladie, plus d’un siècle après son identification en 1906 par l’Allemand Alois Alzheimer, n’ont encore pas été clairement établies. De plus, son diagnostic est encore très lent. En France, seul un tiers des 900 000 malades estimés ont été diagnostiqués. La maladie est donc souvent repérée tard.
Par conséquent, en matière de traitement contre Alzheimer, les échecs sont nombreux. Le 23 septembre dernier, une pharma danoise, Lundbeck, annonçait l’échec de son traitement, l’Idalopirdine, lors des essais de Phase 3. Ces dernières années, les échecs éclatants se sont accumulés parmi les lesquels on peut citer l’arrêt en 2010 des essais du Semagacestat en 2010 (les patients ayant reçu ce traitement développé par Eli Lilly montrant des signes de développement de la maladie supérieurs à ceux s’étant vu administrer le placebo !), mais aussi, en 2012, ceux de traitements développés par Pfizer ou Johnson & Johnson.
Où en est la recherche ?
Malgré la réticence des pharmas, plusieurs découvertes majeures sont venues ponctuer ces dernières années et laissent entrevoir quelques espoirs pour les malades… et leurs familles.
Les causes et le déclenchement exact de la maladie étant encore mal connus, les écoles de recherches s’opposent fortement sur ces questions – ce qui se retrouve dans la recherche pharmaceutique. En caricaturant un peu les positions, la recherche contre la maladie s’est polarisée autour de deux causes potentielles : les plaques amyloïdes, et la protéine Tau. De grands laboratoires, comme Pfizer et Eli Lilly, explorent largement, et ce depuis plusieurs années, la piste des plaques amyloïdes, tandis que les recherches sur la protéine Tau sont plus émergentes.
Nous plongerons plus précisément dans les entrailles des essais cliniques en cours très bientôt… d’ici là, restez à l’écoute…
Cécile Chevré