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Rome ou la religion sans foi : quand les dieux étaient citoyens

La religion romaine n’est pas fondée sur la foi, ni même sur une révélation. Elle ne repose pas sur un dogme ni sur des Écritures, mais sur un code de gestes, une liturgie civique minutieuse. À Rome, les dieux sont des citoyens à part entière, les plus puissants sans doute, mais intégrés dans la cité selon les lois du droit et les exigences du rituel. Dans cet univers foncièrement juridique, les relations entre les hommes et le divin relèvent moins de la spiritualité que de la procédure : tel jour, à tel endroit, selon une séquence de gestes codifiée, la communauté se met en rapport avec les forces supérieures. À défaut de croyance, le respect scrupuleux du rite : voilà le cœur de la religion romaine.

Aucune exigence intime, aucune adhésion personnelle n’est requise. Il ne s’agit pas de « croire » en Jupiter ou en Mars, mais d’accomplir, à l’échelle collective, les rites qui garantissent la prospérité de la respublica. Le rituel, disait Georges Dumézil, joue le rôle de langage social : ce sont les hommes qui « invitent » les dieux, non l’inverse. Dans cet échange, l’individu disparaît au profit de la cité.

Une société de dieux fonctionnaires

Le panthéon romain est à l’image de la société qu’il surplombe : hiérarchisé, organisé, fonctionnel. On y trouve une douzaine de grandes divinités dites « olympiennes », chacune en charge d’un domaine : Vénus, beauté souveraine et protectrice des plaisirs fertiles ; Apollon, garant de l’ordre cosmique et de la raison ; Mars, patron belliqueux de l’armée républicaine. À leurs côtés, une infinité de divinités secondaires, génies tutélaires ou esprits domestiques – les Lares –, coexistent avec des dieux importés de l’étranger, intégrés comme des populations nouvelles dans le corps politique de Rome.

À chaque fonction correspond une divinité, et chaque divinité est assistée, comme tout bon magistrat, de ses subalternes : ainsi Fidès, incarnation de la bonne foi, veille aux côtés de Jupiter sur la loyauté. La religion romaine, loin d’un polythéisme naïf, constitue un véritable système rationnel, où le divin reflète en miroir la structure et les vertus idéales de la cité.

Une alliance contractuelle avec le divin

Le cœur du rapport entre hommes et dieux tient en un principe : le votum. Le citoyen ou le magistrat formule une promesse – une action, un sacrifice – en échange d’un bénéfice attendu. Si les dieux répondent favorablement à cette requête, ils recevront leur dû. Autrement dit, le sacrifice n’est pas offert à l’avance : il est la contrepartie d’un résultat. Un véritable contrat, fondé sur la réciprocité, où le divin ne reçoit qu’en proportion du service rendu.

Ce pragmatisme rituel se manifeste jusque dans les pratiques collectives. Chaque 1er janvier, le Sénat romain détermine les objectifs publics de l’année. Il adresse alors à Jupiter une demande formelle de soutien. La réponse divine – implicite – conditionnera l’accomplissement du sacrifice l’année suivante. À ce titre, Mercure veille sur les échanges commerciaux, Vénus sur la fécondité des vignes et des corps, et Mars sur la victoire des légions. Mais les dieux, tout bienveillants qu’ils soient, n’apprécient guère l’amateurisme. Malheur à celui qui oublie une prière ou inverse une formule : il recevra l’inverse de ce qu’il a demandé, une défaite au lieu d’un triomphe, une épidémie pour toute récompense.

Un clergé sans cléricature

À la différence des religions monothéistes, Rome ne connaît pas de clergé autonome ni de pouvoir sacerdotal séparé. La religion est l’affaire de l’État, et son exercice incombe aux magistrats. Le grand pontife, élu par le peuple, supervise le Conseil pontifical, en charge des affaires religieuses, des calendriers, des règles rituelles, et de la gestion des biens sacrés.

Quatre collèges pontificaux, chacun spécialisé, assurent la continuité du culte : on y enseigne l’art de dire les prières exactes, de dresser les enceintes sacrées, de consulter les présages. Lorsqu’un temple est inauguré, un pontife prononce la prière que le magistrat républicain reprend mot pour mot, garantissant ainsi la validité du rituel. Rien n’est laissé au hasard : l’acte religieux est, avant tout, un acte juridique.

Au Ier siècle avant notre ère, Rome compte plusieurs centaines de dieux. Tous incarnent une vertu, un principe, une fonction essentielle de la vie sociale. Ensemble, ils forment l’architecture invisible d’un ordre idéal que la République tente d’imiter. La triade capitoline – Jupiter, Junon et Minerve – veille depuis le Capitole sur la stabilité du monde. Le pouvoir est partagé, comme il l’est entre les consuls. À Rome, les dieux gouvernent comme les hommes : selon le droit, par délégation, et pour le bien commun.

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