« L’AVENIR DE NOTRE AGRICULTURE PASSE PAR LA COHESION EUROPEENNE »
Comment s’est passé le dialogue entre la délégation du Mouvement Démocrate et les professionnels, à l’occasion du Salon international de l’agriculture ?
Marc Fesneau – J’ai trouvé les professionnels, tous syndicats confondus, particulièrement responsables. Ils ont conscience de la situation et se veulent très pragmatiques. Aucun d’entre eux n’a remis en cause l’utilité et la nécessité de la Politique agricole commune (PAC). Ils ont compris que l’Europe leur garantit une politique agricole de long terme, une continuité logique depuis 1992, là où une politique nationale aurait fluctué au gré des échéances électorales. Après, il y a des points de vue qui divergent sur les modalités d’applications. Tous acceptent la prise en compte des contraintes environnementales dans les aides versées et la nécessité du verdissement. Mais le conditionnement des aides implique que les conditions soient appliquées sur tout le territoire de l’Union européenne. Faire du verdissement en France, mais pas en Allemagne ou au Danemark par exemple, crée des distorsions regrettables. Les agriculteurs demandent que l’Europe avance et que la cohésion se renforce.
On parle beaucoup du manque de compétitivité des entreprises françaises. Est-ce aussi vrai dans le domaine agricole ?
Oui, la compétitivité de « la ferme France » est défaillante. Non pas à cause des contraintes fixées par l’Europe, mais du fait qu’en France nous surajoutons des contraintes et des réglementations aux directives européennes. Nos procédures prennent un temps interminable qui ne répond pas aux logiques économiques. Prenons l’exemple de la méthanisation : en Allemagne, l’autorisation est délivrée au bout de 3 à 6 mois, en France cela prend entre 18 et 36 mois. Connaissez-vous un chef d’entreprise qui puisse accepter que son dossier soit en instruction si longtemps ? Il est normal qu’il y ait des procédures, mais en aucun cas que ces procédures tuent les projets. De deux choses l’une : soit nous arrivons à obtenir de l’Union européenne une harmonisation dans les vingt-sept États membres, soit nous nous posons la question de notre politique nationale. Ce qui est certain, c’est que nous ne pouvons pas continuer à laisser des écarts se creuser. Nous manquons aussi de stratégies de filières. Aujourd’hui, l’État n’intervient qu’en période de crise, comme un pompier : il propose des aides d’urgence, des prêts sans intérêts, … Il devrait surtout accompagner l’organisation des filières, notamment en ce qui concerne les fruits et légumes.
Les relations entre la grande distribution et les agriculteurs sont-elles plus apaisées ? La Loi de Modernisation de l’Économie (LME) n’a pas permis de résoudre les problèmes. Dès que les producteurs tentent de s’organiser un peu, la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes considère cela comme une entente qui fausse le marché libre. Elle qualifie cela de concurrence déloyale et assène des amendes et des pénalités. C’est une erreur. Mesurons ce qu’est le poids de 500 petits producteurs face à celui de 4 ou 5 grandes centrales d’achat. Le rôle de la PAC est aussi de donner des marges de manœuvre aux agriculteurs pour qu’ils puissent s’organiser, qu’ils aient la possibilité de mener des négociations communes auprès des opérateurs de la grande distribution. Face à des distributeurs très concentrés, les agriculteurs doivent pouvoir se grouper, sinon la pression sur les prix est trop forte et, à terme, la production disparaît. Les coopératives agricoles sont aussi une solution, elle doivent renouer avec leur vocation qui était de se regrouper pour mieux vendre. Sans compter que cette course au prix bas nous oblige à mettre en place des mécanismes de compensation : elle fait que nos agriculteurs ne peuvent plus vivre dignement sans subvention. Enfin, elle pose la question de la qualité du produit, comme nous l’a démontré récemment le scandale de la viande de cheval.
Cette répartition plus équitable des marges permettrait aux agriculteurs de vivre de leur production ?
Oui, à condition qu’elle s’accompagne d’une réflexion des consommateurs. Nous devons savoir ce que nous voulons dans notre assiette et à quel prix nous le voulons. Quand nous achetons des fraises d’Espagne au mois de janvier, nous devons penser aux conditions dans lesquelles elles sont produites. Ce n’est pas qu’elles viennent d’Espagne, qui pose problème. Mais si elles ne sont pas chères, c’est tout simplement parce qu’elles n’ont pas le temps d’arriver à maturité, qu’elles sont cultivées hors sol et que le plus souvent un prélèvement atroce dans la nappe phréatique est réalisé. La responsabilité des consommateurs, c’est de réfléchir à leurs achats.
Reste le facteur météorologique, qui influe sur les récoltes… C’est pourquoi il faut des mécanismes de régulation du volume. L’an dernier, les conditions climatiques ont conduit à une petite production en fruits, les prix se sont plutôt tenus. Comme la nature est bien faite, cette année nous devrions avoir une énorme production. Le risque est que les prix chutent à un niveau désastreux pour les producteurs. C’est là que la PAC doit intervenir, comme un filet de sécurité. Pour l’instant, que le prix des céréales soit à 250€ ou à 100€ la tonne, l’aide qu’elle verse à l’agriculteur est la même. Il faut affiner ce système, afin de pouvoir réévaluer l’aide chaque année, en fonction des cours.
Les Jeunes agriculteurs ont des difficultés à acquérir des terres cultivables. C’est un problème de prix du foncier ?
Non, ce n’est pas le prix le problème, mais l’accès. Les terres agricoles françaises sont parmi les moins chères d’Europe, mais elles ne se libèrent pas car elles ne sont pas mises en vente. La raison est simple : nous constatons un détournement du « droit de fermage ». Ce mécanisme un peu compliqué, mis en place après la guerre, permet la location de biens agricoles. Au début, il eut l’intérêt de protéger les agriculteurs en modérant l’augmentation du prix des terres. Mais, aujourd’hui, beaucoup d’agriculteurs qui partent à la retraite gardent leurs droits de fermage et font exploiter leurs terres par des entrepreneurs agricoles. D’où des difficultés pour ceux, en activité, qui voudraient s’agrandir ou des jeunes qui voudraient s’installer parce que le foncier est rare. Le Mouvement Démocrate appelle à entamer une réflexion, pour imaginer un système qui continue d’empêcher la spéculation, mais qui libère du foncier pour la jeune génération. Ce problème dépasse l’agriculture, il concerne le monde rural dans son ensemble : les sociétés agricoles qui exploitent ces terres, de plus en plus vastes, ne vivent pas sur le territoire, la discussion de voisinage et la proximité des relations n’existent plus. Permettre l’arrivée des jeunes, c’est aussi préserver le lien social