Bordeaux: Contre un urbanisme en kit
« Certains pays souhaiteraient recréer une ville comme Paris. Mais que serait Paris sans les parisiens ! Une ville n’existe d’abord que par ses habitants.» Michel Cantal-Dupart, urbaniste architecte reconnu, invité du Club de réflexion Auguste Blanqui, poursuit « Chaque fois que j’ai eu à mener un projet, j’ai toujours appris des habitants. » Cette idée, Marie-Christine Bernard-Hohm, ethnologue urbaniste, la développe. « Dans les opérations d’aménagement, nous assistons à des concertations alibis. A côté de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre, il faut inscrire la maîtrise d’usage pour que les habitants prennent part à la décision. Ce serait un moyen d’éviter cet urbanisme en kit que l’on nous impose comme aux Bassins à flot. » C’est singulièrement de la métropole bordelaise que l’on a parlé vendredi soir devant plus d’une centaine de personnes parfois inquiète du tour que prend l’urbanisation de l’agglomération.
Revenons à Michel Cantal-Dupart pour qui « la métropole millionnaire est une idée vaniteuse ». « Il faut avoir une vision large et penser en termes de solidarités territoriales. On oublie l’arrière pays avec lequel il faut pourtant tisser des liens et s’associer entre villes, car une ville s’inscrit dans un territoire qui l’irrigue. Une ville, c’est aussi un ensemble de quartiers. C’est pourquoi, il est évidemment nécessaire de connaître la trame urbaine et l’histoire de la ville. Il ne faut pas oublier la ville d’avant, avoir la mémoire de sa ville. »
Cyrille Vivas, entrepreneur et Président régional du SNAL (Syndicat National des Aménageurs Lotisseurs) , quant à lui, énonce quelques réalités bordelaises alarmantes : un centre ville avec de trop petits logements, peu évolutifs, qui de ce fait, ne retiennent pas les familles, des projets d’immeubles résidentiels qui ne sont autre chose que des produits de défiscalisation, une augmentation des copropriétés privées dégradées. «En effet, on constate des coûts de copropriété aussi élevés que des coûts de loyer… ». « Des loyers inabordables pour beaucoup quand on sait que le salaire médian à Bordeaux est de 1400€ » note Philippe Dorthe, président fondateur du Club Auguste Blanqui. « Une ville n’est pas qu’un produit de défiscalisation, y vivre c’est y travailler aussi et, donc réinjecter de l’emploi productif afin d’éviter entre autres les déplacements pendulaires domicile /travail. »
« Par ailleurs, on assiste à un consumérisme de l’habitat, avec de nouveaux arrivants qui s’installent à Bordeaux dans une étape de vie et qui sont prêts à repartir si la ville ou la métropole ne tiennent pas leurs promesses vues sur le catalogue des promoteurs» rajoute Marie-Christine Bernard-Hohm.
« Il y a deux façon de voir l’urbanisme, conclut Michel Cantal-Dupart, l’urbanisme immobilier tel qu’on le voit aujourd’hui à Bordeaux, et l’urbanisme culturel dans le sens de la prise en compte de l’habitant, de l’organisation de sa rue, de son trottoir et de ses habitudes de vie. »
En tout cas, une urbanité à créer de toute urgence à Bordeaux et dans la métropole « pour éviter la densification factice que l’on nous sert avec les projets de tours qui essaiment alors que le coût de la ville verticale est bien supérieur au coût de la ville raisonnablement dense » note au final Yannick Billoux, directeur de l’ADIL33.
De nouveau, le conseiller départemental et régional Philippe Dorthe propose la mise en œuvre d’un moratoire pour les programmes d’aménagement bordelais afin de se laisser le temps de repenser une politique urbanistique répondant aux réels besoins de la population. Et de mettre à niveau les équipements publics défaillants, comme les écoles, crèches, salles polyvalentes…. « C’est une question vitale pour l’avenir de notre ville ».
A l’issue de ce débat très riche et animé, sur proposition de Michel Cantal-Dupart, le Club Auguste Blanqui a promis d’instituer un forum permanent d’échanges dédié aux problématiques de l’urbanisme et de l’habitat à Bordeaux.