L’interdiction d’entrée aux États‑Unis visant Thierry Breton, ancien commissaire européen au Marché intérieur, n’est pas un simple incident diplomatique. Elle s’inscrit dans une recomposition plus vaste des rapports de force autour de la souveraineté numérique. En sanctionnant l’un des principaux artisans de la régulation européenne des plateformes, Washington envoie un signal clair : la bataille du numérique n’est plus seulement économique, elle devient politique, presque civilisationnelle.
Du côté américain, la mesure est justifiée par la volonté de protéger les intérêts des géants technologiques, perçus comme menacés par les législations européennes — Digital Services Act, Digital Markets Act — qui imposent transparence, responsabilité et contrôle. À Bruxelles, la réaction est immédiate : on dénonce une décision « disproportionnée », un geste hostile entre alliés censés partager un socle commun de valeurs démocratiques.
Mais au‑delà du choc diplomatique, l’affaire révèle une divergence profonde. Deux visions du numérique s’affrontent désormais.
- L’une, américaine, fondée sur une conception extensive de la liberté d’expression et sur la primauté de l’innovation privée.
- L’autre, européenne, attachée à la protection des citoyens, à la lutte contre la désinformation et à la limitation du pouvoir des plateformes.
Dans cette confrontation, Thierry Breton devient malgré lui une figure symbolique : celle d’une Europe qui tente d’exister dans un espace numérique dominé par des acteurs extra‑européens, et qui se heurte à la résistance d’un allié peu enclin à voir émerger un contre‑pouvoir réglementaire.
Ce « choc des visas » marque peut‑être le début d’une ère nouvelle, où les tensions technologiques s’ajoutent aux rivalités commerciales et stratégiques. Une forme de guerre froide numérique, non pas idéologique mais normative, où chaque bloc cherche à imposer sa vision du monde connecté.
Reste à savoir si cet épisode conduira à une escalade ou s’il servira, au contraire, de point de départ à une redéfinition plus lucide du partenariat transatlantique. Car dans un univers numérique globalisé, aucune puissance ne peut durablement avancer seule.





