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1609, la grande chasse aux sorcières du Pays basque

Au début du XVIIᵉ siècle, l’Europe est traversée par une vague de persécutions qui marquera durablement les mémoires : les chasses aux sorcières. Dans le Pays basque français, en 1609, se déroule l’un des épisodes les plus meurtriers. Des centaines de femmes, accusées de pactiser avec le diable, sont arrêtées, jugées sommairement et exécutées. Cet événement illustre la violence institutionnelle et sociale qui s’est abattue sur celles que l’on considérait comme des « sorcières ».

Comment un simple désaccord local a‑t‑il pu dégénérer en tragédie ? En 1605, une querelle éclate entre les bourgeois de Saint‑Jean‑de‑Luz et le seigneur d’Urrugne autour des revenus du port de Ciboure. Les tensions s’enveniment lorsque les deux camps s’accusent mutuellement de sorcellerie. Informé de l’affaire, Henri IV la prend très au sérieux. Le Labourd, situé entre l’Espagne catholique et la Basse‑Navarre protestante, avait été au cœur des guerres de Religion que le roi venait de clore par l’Édit de Nantes. Il décide d’envoyer sur place deux juges du parlement de Bordeaux. L’histoire du procès itinérant qui suit, long de quatre mois, serait restée inconnue si l’un des magistrats, Pierre de Lancre, n’avait laissé un livre relatant sa mission.

Ce texte, décrit par l’historienne Nicole Jacques‑Lefèvre comme « séduisant et presque répulsif », révèle l’état d’esprit d’un magistrat étranger à la culture locale. L’absence des hommes, partis en mer pour six mois de pêche à Terre‑Neuve, renforce son sentiment d’étrangeté. Les femmes, maîtresses de la vie quotidienne, et les jeunes filles, dansant librement cheveux dénoués lors de veillées, éveillent chez lui une fascination teintée de suspicion. Son livre de chevet est le Malleus Maleficarum (Le Marteau des sorcières), publié en 1486 et largement diffusé grâce à l’imprimerie. Convaincu que ces femmes pactisent avec le diable lors de sabbats imaginaires, il recourt abondamment à la torture pour obtenir des aveux. Il va jusqu’à faire témoigner des enfants, contre toutes les règles du droit de l’époque. Après une enquête menée avec un zèle fanatique, quatre‑vingts femmes périssent dans les flammes des bûchers.

Aujourd’hui, les historiens et penseurs féministes voient dans ces chasses un féminicide de masse. Elles révèlent la peur ancestrale de la femme libre, autonome et détentrice de savoirs populaires (guérisseuses, sages‑femmes). La figure de la sorcière fut diabolisée pour mieux contrôler les corps et les esprits. Désormais, elle est réhabilitée comme symbole de résistance féministe, d’émancipation et de savoir alternatif.

La mémoire de ces persécutions invite à réfléchir sur les mécanismes de stigmatisation et de violence de genre. Les bûchers du XVIIᵉ siècle ne sont pas si éloignés des discriminations contemporaines. Reconnaître ces victimes, c’est inscrire dans notre mémoire collective un avertissement : la peur et l’ignorance peuvent toujours engendrer des tragédies.

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