
Les urgences sont-elles le self service des soins en tous genres ?Par Guy-André Pelouze
On pourrait le croire tant les constats se ressemblent depuis deux décennies. Pourtant, nos services d’urgence sont généralement très bien équipés et le personnel est qualifié. De surcroît, nous ne manquons pas de lits hospitaliers.
Figure N°1 : Nombre de lits par million d’habitants et dépenses hospitalières, exprimées en pourcentage du PIB en 2019 dans plusieurs pays européens
Nous avons aussi assez de personnel. Mais, en détail, trop de personnel non soignant.

Figure N°2 : Dépenses hospitalières exprimées en pourcentage du PIB et nombre de personnes travaillant dans les hôpitaux par millier d’habitants en 2019 dans plusieurs pays européens
Il s’agit bien d’un afflux croissant
Le point essentiel est que ces services ont été pensés pour les malades urgents. Or aujourd’hui le flot submersif est celui de patients non urgents. “L’enquête de la Drees parue le 19 mars 2025 révèle une augmentation des durées de passage aux urgences sur dix ans, notamment en raison de l’afflux croissant de patients. En moyenne, les patients passent plus de trois heures aux urgences, contre deux heures et quart en 2013.”
De 1996 et 2019, les passages (c’est-à-dire la fréquentation) aux urgences en France ont plus que doublé, augmentant de 10,1 millions à 22 millions. Toutefois, la progression a ralenti à partir de 2016 avant de chuter à 18,1 millions en 2020 en raison de la Covid-19. Lors des confinements de mars et novembre 2020, le recul a été très marqué et a été suivi d’un retour progressif au niveau d’avant-crise à partir de mai 2021. Les passages ont diminué en 2023 pour revenir à un niveau proche de 2017 (20,9 millions).
Mais pour quelle raison aurions-nous plus d’urgences que nos voisins?
Il faut d’abord analyser les motifs de l’arrivée aux urgences en France.
Raisons et motivations des visites aux urgences | Utilisation inappropriée des urgences | Utilisation appropriée des urgences | Valeur P | Total des patients |
Parce que le patient a été victime d’un accident | 1575 (22.70) | 7016 (31.23) | 0.0001 (très significatif) | 8591 (29.21) |
Sur conseil du médecin | 1476 (21.27) | 6551 (29.16 | 0.0001 (très significatif) | 8027 (27.30) |
Parce que le patient avait besoin que le problème soit réglé rapidement | 2069 (29.82) | 5850 (26.04) | 0,0001 (très significatif) | 7919 (26.93) |
Parce que le patient pourrait subir des tests sanguins ou une imagerie | 1528 (22.02) | 4803 (21.38) | 0.2514(non significatif) | 6331 (21.53) |
En raison de la proximité des Urgences | 1580 (22.77) | 4685 (20.85) | 0.0006 (très significatif) | 6265 (21.30) |
Tableau N°1: Pour la clarté de l’information, j’ai limité les résultats aux 5 raisons de consultation aux urgences qui concernent plus de 20 % de la population étudiée. La méthode d’évaluation de l’utilisation appropriée est celle d’un score d’appropriation. Il s’agit d’une enquête sur 29 407 patients des urgences en France. Il est possible de comprendre, grâce à ces données, que l’utilisation inappropriée est massive et très significative, j’ajoute que les patients arrivés par une ambulance des pompiers et du SAMU ne représentent que 4044 patients, soit 13.75% (https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC7323738/).
Ce tableau met bien en évidence la problématique. Les urgences dimensionnées et équipées pour les situations critiques sont devenues, dans un nombre trop important de cas, une opportunité de soins en mode non urgent. Il n’y a aucune raison pour que la population française soit sujette à plus de situations médicales urgentes que nos voisins européens. Cet afflux ne doit pas être négligé, il faut s’organiser pour préserver l’accès aux urgences des malades en situation urgente, et ce n’est pas le cas. Enfin, du point de vue de la fréquentation des urgences, nous sommes au dessus de la moyenne européenne.
Les médias et les associations se trompent c’est un déficit d’organisation
La situation des urgences n’est pas une fatalité. Il est encore possible d’éviter l’effondrement, mais il faudrait faire vite. Nous devons faire (et il aurait fallu le faire dès que le rapport « Cinq expérimentations de coopération et de délégation de tâches entre professions de santé » a été publié en 2006) un effort sans précédent pour que les urgences soient efficacement discriminées au bénéfice des patients urgents. En effet, en urgence plus qu’en soins programmés, les ressources sont limitées, et laisser utiliser de manière inappropriée les urgences, c’est priver les malades urgents d’être soignés dans les délais et parfois de leur sauver la vie. Ces solutions organisationnelles existent (https://atlantico.fr/article/decryptage/urgences-en-pls-ces-solutions-auxquelles-on-se-refuse-hopital-public-drees-sante-huy-andre-pelouze). Infirmière clinicienne décisionnaire, paiement de la consultation en cas d’usage inapproprié pour tous les patients, admission programmée aux urgences par téléconsultation préalable. Et plus que dans d’autres domaines, le dossier médical électronique, qui n’est toujours pas en place à cause de l’absence de volonté de la technostructure de la sécu est indispensable. Ainsi, malgré le coût qui a dépassé le milliard d’euros, ce manque d’information n’a pas amélioré les conditions difficiles de prise en charge des malades complexes (https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/rapport_cout_dossier_medical_personnel.pdf). | ||||||||||