
Loin des projecteurs, la diaspora libanaise façonne l’Afrique noire
Loin des feux médiatiques, une diaspora discrète mais influente continue de jouer un rôle central dans le tissu économique et social de l’Afrique subsaharienne. Il s’agit de la communauté libanaise, implantée depuis plus d’un siècle dans plusieurs pays d’Afrique noire, de Dakar à Kinshasa, d’Abidjan à Cotonou en passant par Libreville. Une histoire d’exil, de résilience et de réussite, encore largement méconnue du grand public.
Des départs nourris par les soubresauts du Levant
C’est à la fin du XIXe siècle, alors que le Liban est encore sous domination ottomane, que les premiers migrants libanais — majoritairement issus du Mont-Liban — quittent leur terre natale. Fuyant la pauvreté, les tensions confessionnelles et les soubresauts politiques, ces pionniers prennent la route de l’exil, en direction des Amériques… mais aussi de l’Afrique, où les comptoirs coloniaux français et britanniques offrent de nouvelles perspectives.
En Afrique de l’Ouest, ils débutent comme colporteurs. Le commerce devient rapidement leur activité principale, et nombre d’entre eux prospèrent dans la vente de tissus, de produits manufacturés ou dans l’agroalimentaire. Dans les grandes métropoles ouest-africaines, ils s’imposent peu à peu comme une minorité visible et respectée — tantôt commerçants, tantôt industriels, parfois même figures majeures du monde des affaires.

Une intégration sans assimilation
L’une des singularités de la diaspora libanaise réside dans sa capacité à s’intégrer sans pour autant se diluer. Profondément attachés à leur identité, les Libanais d’Afrique ont maintenu des liens étroits avec leur terre d’origine : transferts d’argent, pèlerinages réguliers, mariages arrangés au pays. Les unions mixtes, longtemps marginales, tendent toutefois à se banaliser au fil des générations.
Souvent regroupés autour d’écoles communautaires, de clubs privés, d’églises maronites ou chiites, ils forment une communauté soudée. Leur loyauté à l’égard de leur pays d’accueil n’est cependant pas sujette à caution : nombreux sont ceux qui ont adopté la nationalité locale et contribué activement à la vie économique, voire politique, des États où ils résident.
Entre admiration et ressentiment
Le succès économique de la communauté libanaise en Afrique suscite à la fois fascination et suspicion. Elle est parfois accusée de former une élite fermée, de monopoliser certains secteurs clés du commerce, voire de détourner les ressources locales à son avantage. Des critiques souvent infondées, mais révélatrices d’un malaise persistant autour des élites étrangères.
Des épisodes de tensions, parfois violents, ont ponctué l’histoire de cette communauté, notamment en Sierra Leone ou en Côte d’Ivoire, où des commerces libanais ont été pris pour cibles lors de crises politiques. Pourtant, la majorité a choisi de rester et de poursuivre son engagement économique dans ces sociétés d’accueil.
Une diaspora entre deux mondes
Aujourd’hui, la communauté libanaise d’Afrique noire se trouve à un tournant. Mieux intégrée, la jeune génération aspire à une reconnaissance plus ouverte, parfois même à une véritable fusion culturelle avec les sociétés africaines. Toutefois, le Liban demeure un pôle affectif et identitaire incontournable. Beaucoup continuent de rêver d’un retour, ou du moins d’un équilibre entre leurs deux patries.
À l’heure où les liens entre l’Afrique et le Moyen-Orient se renforcent, notamment dans le cadre d’échanges économiques et de projets d’investissements croisés, la diaspora libanaise pourrait jouer un rôle stratégique de trait d’union entre ces deux régions en pleine mutation. Une présence discrète, mais essentielle.
Une présence politique plus affirmée
Longtemps cantonnés à un rôle d’acteurs économiques, les Libanais d’Afrique noire n’ont pourtant pas été absents des sphères d’influence politique. Dans plusieurs pays, notamment en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou en République démocratique du Congo, des membres influents de la communauté ont su nouer des relations étroites avec les autorités en place.
En Côte d’Ivoire, certaines figures libanaises ont accédé à des postes de responsabilité au sein des chambres de commerce, des instances consulaires, voire à des fonctions étatiques. Leur influence s’exerce aussi bien par les réseaux d’affaires que par le mécénat institutionnel ou le soutien discret à des campagnes électorales.
Souvent exercées en coulisses, leur participation politique est empreinte de prudence. Conscients d’être perçus comme une minorité exogène, les Libanais ont longtemps évité l’exposition directe aux rivalités politiques. Néanmoins, certains sont devenus de véritables médiateurs d’influence, faisant le lien entre élites locales et investisseurs du Golfe.

Dans les périodes de crise, cette position peut s’avérer délicate : au Libéria ou en Sierra Leone, des membres de la diaspora ont été accusés — parfois à tort — de connivence avec certains régimes contestés ou groupes armés. À l’inverse, en temps de stabilité, leur implication politique s’est souvent traduite par un rôle apaisant, incarné par des personnalités respectées dans les cercles d’affaires et les espaces de dialogue communautaire.