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Les défis contemporains du droit international du travail : entre stabilité normative et tensions géopolitiques  Par Jean-Claude Javillier

Le droit international du travail semble s’inscrire dans une certaine forme d’éternité, incarnée par l’Organisation internationale du travail (OIT), à laquelle nous continuons de croire. Quelle remarquable stabilité depuis 1919 ! Nulle hypertrophie normative à déplorer, mais plutôt une pérennité notable des catégories juridiques et des instruments, ainsi que des procédures qui leur sont associées. Certes, on observe quelques ajustements et ajouts, qu’ils soient procéduraux ou substantiels, mais dans l’ensemble, le cadre demeure inchangé.

Toutefois, une telle situation ne fait pas l’unanimité parmi les constituants, en particulier chez les représentants des travailleurs. Ceux-ci peuvent percevoir cette constance comme le symptôme d’un blocage politique, voire comme la manifestation d’une volonté croissante de certains milieux patronaux (et de certains gouvernements) de limiter ou de remettre en question l’activité normative de l’OIT. Ces craintes et critiques ne sont pas sans lien avec la tendance accrue à privilégier le droit à réalisation progressive, souvent désigné par l’opposition entre soft law et hard law (termes maladroitement traduits en français par « droit mou » et « droit dur »), dans un monde où le soft power revêt une importance décisive.

Il convient cependant de rappeler l’enseignement précieux tiré de la synergie qui existe, depuis les origines de l’OIT, entre recommandations et conventions. Cette complémentarité offre un potentiel considérable pour répondre à une multitude de problématiques techniques et sociales, dans des contextes divers et variés.

La place des consensus dans toute politique normative menée par les organisations internationales dépend avant tout du contexte géopolitique et des stratégies, lesquelles évoluent nécessairement au fil du temps. Les bouleversements du monde contemporain ont affecté de manière déterminante et durable les équilibres des ensembles normatifs, même parmi les plus anciens et sophistiqués. Cette observation s’applique tout autant dans les cadres régionaux, tels que l’Union européenne.

Nous avons déjà souligné l’importance cruciale de la fin du monde géopolitique binaire. Cette évolution se reflète notamment dans la situation normative au sein de l’OIT, qui en constitue une illustration pertinente. À titre d’exemple, les questions juridiques relatives à la liberté syndicale montrent l’impact de ces changements. En période de guerre froide (sur le plan normatif), les gouvernements occidentaux, les employeurs et certains syndicats internationaux ont réussi à construire un consensus juridique incluant la reconnaissance et la protection du droit de grève. Cette approche a été défendue avec vigueur (voire passion) et minutieuse par certains membres de la Commission d’experts, au fil des années, dans leurs rapports.

Le corpus normatif ainsi élaboré par ces commissions, et en particulier par le Comité de la liberté syndicale, a été le fruit d’un processus quasi « codifié » (proposé par les fonctionnaires du BIT). Ce travail normatif semblait alors aller de soi, constituant une véritable « doctrine » considérée comme incontestable. Cependant, il serait naïf de croire qu’une analyse juridique, aussi éminente soit-elle, réalisée par des experts ou des commissions tripartites, puisse échapper à des remises en cause, qu’elles soient circonstancielles ou fondamentales.

En effet, il n’existe pas de consensus parmi les constituants qui soit totalement insensible aux facteurs géopolitiques et sociétaux, des éléments dont l’importance a peut-être été sous-estimée au fil des années.

Jean-Claude Javillier

Professeur émérite de droit, Ancien directeur du département des normes du Bureau international du travail.

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