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Dissolution de l’Assemblée Nationale Les explications de Mélody Mock-Gruet

Quelques minutes après la publication des scores des élections européennes, portant le RN largement vainqueur, le Président de la République (PR) a annoncé avoir décidé de dissoudre l’Assemblée nationale (AN). Le groupe LIOT avait d’ailleurs menacé quelques minutes plus tôt de déposer une motion de censure (la dernière ayant échoué,  à 9 voix près, lors de la réforme des retraites).

Article 12 de la Constitution

« Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.

Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.

L’Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours.

Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections. »

Pour résumer :

– La dissolution est une prérogative du PR par décret sans contreseing. C’est lui qui apprécie seul l’opportunité, quand il le souhaite, même s’il consulte les présidents du Sénat et de l’AN et le PM. 

– Il n’y a que l’AN qui peut être dissoute. Le Sénat n’est donc pas concerné. 

– Pour rappel, il n’y a que l’AN qui détient la motion de censure, ou la possibilité d’avoir le dernier mot de la navette législative. 

– Il y a un délai strict pour renouveler l’Assemblée nationale entre 20 et 40 jours, pour ne pas laisser une latence trop importante entre la dissolution et le renouvellement. 

– Le PR a annoncé qu’il y aurait 20 jours avant l’élection. Il a donc décidé de laisser le moins de temps possible pour les candidats et les formations pour faire campagne.

– L’Assemblée ne peut être dissoute une seconde fois dans la même année. Il faudra composer avec l’Assemblée avec ou sans majorité pendant au moins un an. 

– La dissolution est impossible en cas de présidence par intérim (article 7 C°) et circonstances exceptionnelles (article 16 C°).

– C’est une procédure d’arbitrage populaire et une pièce maitresse du PR.

Les précédents

– 1962 : à la suite de la motion de censure du gouvernement par les députés

– 1968 : pour renforcer la légitimité du pouvoir face à une crise sociale et politique

– 1981 et 1988 : pour donner au président nouvellement élu la majorité parlementaire sans laquelle son pouvoir eut été inconsistant

– 1997 : tactique mais périlleuse (volonté du PR Jacques Chirac de donner un nouvel élan avec une majorité réaffirmée, à la veille d’importantes échéances européennes).

L’élection des députés

– Les élections législatives seront organisées le 30 juin (1er tour) et le 7 juillet (2ème tour) prochain. 

– Le mode de scrutin est majoritaire à deux tours. Le seuil requis pour être élu au premier tour étant basé sur un pourcentage du total des inscrits et non des seuls suffrages exprimés, il rend plus difficile l’accès au second tour lorsque l’abstention est élevée. Le système permet en revanche l’accès au second tour de plus de deux candidats si plusieurs d’entre eux franchissent le seuil de 12,5 % des inscrits.

– Le taux de participation va être un facteur important sur le résultat (s’il y a ou non mobilisation):

·      Pour le 1er tour des élections législatives de 2022, le taux d’abstention s’élevait à 52,49% contre 51,29% en 2017 (qui avait déjà constitué un record pour la Ve République).

·      Pour le second tour des élections législatives de 2022, le taux d’abstention s’élevait à 53,77%, 1 235 844 votes blancs ont été comptabilisés (soit 2,54% des inscrits et 5,50 des votants) contre 362 193 au premier tour.

·      En 1997 : les scores de l’abstention étaient de 32 % le 25 mai et de 28,9 % le 1er juin.

·      Taux d’abstention aux élections européennes de 2024 : 48, 17%

– 20 jours c’est court, mais constitutionnel. 

·      Le décret présidentiel portant dissolution appartient à la catégorie des actes politiques (le Conseil d’Etat et le CC déclinent leur compétence). 

·      L’article 12 de la Constitution est supérieur aux articles visés par le code électoral (valeur législative) au moment du renouvellement de l’AN (CC, n° 81-1 ELEC, 11 juin 1981, Delmas). Mais le CC se réserve le droit d’apprécier si la liberté et la sincérité du scrutin sont respectée en raison de la brièveté du délai de dépôt des candidatures…

– Dès que le décret de dissolution est paru, les députés perdent leur fonction de députés : ils n’ont plus accès aux moyens de l’AN (téléphone, transport, etc.) et leurs collaborateurs seront licenciés à partir du 17 juin.

– La campagne commence, ainsi que son organisation : compte de campagne, trouver un suppléant, dépôt de candidature, propagande électorale (tracts, affiches, etc.), meetings, bulletins à préparer…

– Au vu du délai très court, les sortants ont un avantage. Par exemple, pour les députés Français de l’étranger, les candidats n’auront quasiment pas le temps de faire campagne. Les partis, comme le RN, doivent trouver très rapidement de nouveaux candidats dans les circonscriptions où ils ne sont pas élus (et s’occuper de tout à leur place). Hier soir, les démarchages ont déjà commencé.

– Il y aura probablement moins de candidats qu’au dernier renouvellement de l’AN, les petits partis pouvant avoir du mal à s’organiser dans toutes les circonscriptions en si peu de temps.

– Le délai imparti complique également les mises en place des alliances et des différents équilibres entre les partis pour la répartition des candidats sur les circonscriptions.

– On peut tout de même soulever le côté très « improvisé » de la part du PR, hier. Etant donné qu’il décide de quand a lieu la dissolution, il aurait pu prendre un peu plus de temps avant de l’annoncer, afin de maitriser un peu mieux la campagne (préparation des affiches, tracts, répartition des circonscriptions avec les alliés…)

La nouvelle Assemblée fraichement élue

– L’Assemblée nationale se réunira le deuxième jeudi qui suit l’élection, même en période extraordinaire, prolongeant la durée de la session de quinze jours.

– La nouvelle législature est en mesure de renverser le gouvernement.

– Composition :

·      Soit un parti majoritaire tout seul  

–       289 députés : c’est le nombre nécessaire à un parti pour avoir la majorité absolue à l’AN et ne pas avoir à gouverner avec d’autres groupes. 

–       Si une autre formation que Renaissance ( et ses alliés) franchit ce seuil, alors se mettrait en place une cohabitation. Emmanuel Macron serait à la tête d’un pays dont le gouvernement à la couleur de l’Assemblée. La dernière cohabitation remonte à 1997 : le socialiste Lionel Jospin était devenu le PM de Jacques Chirac. 

·      Soit une coalition

–       L’arc républicain proposé par Renaissance avec d’autres partis (LR, PS) mais ils ont déjà des partenaires MODEM et HORIZONS.

–       Ou alors l’alliance des droites : Marion Maréchal a déjà appelé le soir même à la formation d’un bloc national.

–       Certains LFI ont appelé à l’alliance du front populaire, mais pour l’instant il y aurait des candidats communs à gauche sans LFI.

·      Soit aucune majorité et aucune coalition (en tout cas suffisante pour avoir une majorité). Le Gouvernement doit avoir la confiance de l’AN (même si le vote de confiance n’est pas obligatoire.) La menace de la motion de censure serait alors permanente. On a vu qu’elle était déjà présente lors d’une majorité relative. Dans ce cas, la France pourrait être ingouvernable, les motions de censure, empêchant le gouvernement d’effectuer son travail, voire même de se constituer.

En cas de démission du PR

– Si le parti du PR n’obtient pas la majorité absolue, sa responsabilité présidentielle n’est pas mise en cause (précédent de Jacques Chirac en 1997). Il peut donc décider de rester en place, même avec une autre formation au pouvoir, comme cela été le cas en 1997.

– Mais il peut également décider de démissionner (pour éviter la cohabitation, ou parce qu’aucune alliance n’arrive à avoir assez de députés pour avoir un gouvernement stable).

– En cas de vacance de la présidence, l’intérim est effectué par le Président du Sénat (article 7 de la C°) : « En cas de vacance ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par le Conseil constitutionnel, le scrutin pour l’élection du nouveau Président a lieu, sauf cas de force majeure constaté par le Conseil constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après l’ouverture de la vacance ou la déclaration du caractère définitif de l’empêchement. » Quelques cas de report sont prévus (décès d’un candidat…)

– Emmanuel Macron pourrait-il se représenter ? 

·      L’article 6 de la constitution prévoit que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. »

·      La possibilité de pouvoir immédiatement se représenter puisque le PR aurait fait 2 mandats consécutifs est jugée peu crédible par plusieurs spécialistes du droit constitutionnel. Pour autant, il y a un vrai débat sur le sujet.

·      Une décision du Conseil d’Etat rendue le 25 octobre 2022 à propos de la situation particulière du président de Polynésie française, Edouard Fritch lui a permis de briguer en quelques sortes un troisième mandat. Arrivé au pouvoir en 2014, après la démission de son prédécesseur, Fritch a effectué un bout de premier mandat pendant trois ans et demi, puis a été réélu en 2018. Il souhaitait rempiler en 2023, mais la loi polynésienne limite aussi le nombre de mandats consécutifs à seulement deux. Le Conseil d’Etat a cependant jugé qu’un troisième mandat était possible puisqu’il n’avait pas effectué deux mandats complets.

·      En tant que président du Sénat, Gérard Larcher assurerait l’intérim, et Emmanuel Macron se représenterait à la présidentielle suivante, estimant qu’il n’a pas effectué un second mandat complet.

·      Même si ce serait un détournement de l’esprit de la Constitution, Jean-Jacques Urvoas considère qu’« on peut plaider le contraire» et le fait «que le mandat du président s’entende comme un mandat complet est de l’ordre de l’implicite et de la cohérence».

·      Si d’aventure Emmanuel Macron voulait tenter ce scénario risqué, il reviendrait alors au Conseil constitutionnel de trancher.

·      Enfin plus qu’une question juridique, se poste la question de l’opportunité politique pour le PR de se représenter (s’il perd à nouveau les élections législatives, après la défaite aux européennes).

Le Petit Guide du Contrôle Parlementaire

de Mélody Mock-Gruet et Hortense de Padirac 

paru le 17 octobre 2023 aux éditions L’Harmattan

Si la fonction législative de l’Assemblée et du Sénat est généralement bien connue du grand public, leur mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques l’est moins. L’idée que le Parlement n’aurait pas les moyens d’exercer ce rôle demeure. Ainsi, malgré les progrès constatés, la « culture du contrôle » n’est pas encore pleinement intégrée dans les mœurs.

Inscrite dans la Constitution, elle est pourtant essentielle dans un État de droit. Devenu un véritable contre-pouvoir, le contrôle parlementaire ne se résume plus à renverser le Gouvernement mais bien à analyser les situations, identifier les difficultés, discuter et vérifier l’activité gouvernementale, afin de lui demander des comptes. 

Volontairement tourné vers la pratique, l’ouvrage décrypte le contrôle afin de permettre à tous de se saisir des enjeux techniques et politiques qu’implique ce pouvoir. Chaque chapitre est consacré à un outil de contrôle, avec à chaque fois un « bon à savoir ». Protéiformes et en constante évolution, ces instruments contribuent aujourd’hui plus que jamais à la qualité des débats parlementaires et des décisions politiques, méritant l’attention de tous ceux qui s’intéressent à la bonne santé démocratique du pays.

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