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Éthiopie : l’Empire du Milieu et les chaînes invisibles de la dépendance

Par-delà les discours officiels et les accolades diplomatiques, un constat s’impose avec une rigueur implacable : l’Éthiopie ne se développe pas, elle se soumet. La Chine ne l’aide pas à se relever, elle l’annexe économiquement. Ce qui se déploie actuellement sur les hauts plateaux du pays n’est pas un partenariat, mais une forme d’esclavage moderne, soigneusement maquillé sous les atours de la coopération Sud-Sud.

Sous les toitures flambant neuves des usines textiles de Hawassa, les jeunes femmes éthiopiennes cousent, s’acharnent, s’épuisent — souvent pour moins de 1,50 dollar par jour. Le temps de pause est chronométré, les cadences imposées, les brimades tolérées. Aucun contrat digne de ce nom. Aucun syndicat indépendant. Aucun recours. Tout est encadré pour produire à bas coût et faire taire les voix. Dans cette configuration, le salariat n’est qu’un mot vide, et l’emploi une fiction : il s’agit d’une servitude sous contrainte économique.

Dans ces usines installées par des conglomérats chinois et soutenues par l’appareil d’État éthiopien, le travailleur africain est traité comme une ressource jetable. Il ne possède pas l’outil de production. Il ne décide ni des horaires, ni des salaires, ni même des règles qui régissent son poste. Il ne reçoit pas une part juste de la valeur qu’il crée. Il est là pour exécuter, en silence. C’est un prolétaire sans droits, un exécutant sans voix, un esclave industriel moderne, tenu non par des chaînes de fer, mais par la misère et l’absence d’alternative.

Le terme d’esclavage n’est pas ici une provocation. Il est une lecture lucide d’un système d’exploitation qui répond aux mêmes logiques que celles des traites anciennes : extraction d’une force de travail noire à des fins de profit étranger, avec la complicité de gouvernants locaux. La différence réside uniquement dans le vocabulaire : on ne parle plus de captifs, mais d’ouvriers ; on ne parle plus de plantations, mais de zones économiques spéciales.

Le gouvernement éthiopien, qu’il s’agisse de l’ancien régime de Meles Zenawi ou de l’administration actuelle d’Abiy Ahmed, porte une part majeure de responsabilité dans cette trahison silencieuse. Aveuglés par le mythe du développement accéléré, obsédés par les indicateurs macroéconomiques, ils ont livré la jeunesse de leur pays à des investisseurs étrangers sans poser de garde-fous. Les élites politiques, elles, ne cousent pas dans les usines. Elles négocient. Elles signent. Elles s’endettent. Et pendant ce temps, l’ouvrière de Kombolcha ou le manœuvre de Dukem s’éreinte douze heures par jour pour que des jeans soient livrés à temps en Europe ou aux États-Unis.

Le discours officiel parle d’industrialisation. Mais quelle industrialisation peut prétendre émanciper si elle repose sur des salaires de famine, sur la suppression des droits, sur l’annulation de toute souveraineté économique ? Ce n’est pas l’Éthiopie qui se développe. Ce sont les profits chinois qui s’installent, dans une logique impériale assumée.

Le plus terrible réside dans l’absence de contestation audible. Les travailleurs sont isolés, épuisés, invisibles. La presse nationale est muselée. L’opinion internationale regarde ailleurs. Et la Chine, en stratège averti, déroule sa toile : financement d’infrastructures, prêts massifs à taux préférentiels, formation d’une classe politique acquise à ses intérêts. C’est la méthode de Pékin : avancer lentement, mais sûrement, et transformer l’économie locale en dépendance chronique.

L’Afrique n’est pas en train de se libérer de ses chaînes : elle est en train de les changer de forme. Du fouet au chronomètre, du cachot à la zone franche, du maître colonial à l’ingénieur chinois. La domination est toujours là, mais elle parle aujourd’hui le langage du développement, de l’emploi, de la croissance.

Il faut avoir le courage de le dire sans détours : les ouvriers éthiopiens ne sont pas libres. Ils sont exploités. Non pas dans l’ombre d’un passé honteux, mais sous les projecteurs d’un monde qui se prétend moderne. Ce n’est pas l’histoire qui se répète, c’est l’humanité qui oublie.

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