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    Au delà des crises cycliques de la dette africaine: le non dit d’un modèle économique inadapté Par Hugues Mbadinga     

La question de la dette africaine demeure un sujet de préoccupation majeur, non seulement pour les gouvernements et institutions africaines, mais également pour la société civile. En 2023, selon les données de la Banque africaine de développement (BAD), la dette extérieure totale de l’Afrique a atteint un niveau record de 1 152 milliards de dollars US. Le service de cette dette s’élève quant à lui à plus de 163 milliards de dollars, une augmentation significative par rapport aux 61 milliards de dollars enregistrés en 2010. En comparaison, les investissements directs étrangers (IDE) attirés par l’Afrique en 2023 n’ont atteint que 48 milliards de dollars, soulevant ainsi des questions légitimes sur la soutenabilité de la dette des pays africains.

Selon la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED), 27 pays africains ont vu leur ratio dette/PIB dépasser les 60 % en 2023. Cela témoigne de l’urgence croissante de traiter cette problématique. Certains pays, tels que l’Éthiopie, le Ghana et la Zambie, ont d’ores et déjà entamé des processus de restructuration de leur dette, souvent grâce au cadre commun de traitement de la dette, une initiative soutenue par le FMI et le G20. Au vu de la situation actuelle, il est probable que d’autres pays africains se tournent dans les mois à venir vers le FMI et les institutions internationales pour une révision de leur dette. Ils se retrouvent souvent dans une position délicate, partagés entre le remboursement d’une dette de plus en plus lourde et la nécessité d’investir dans des secteurs clés comme l’éducation et la santé, essentiels à leur développement.

Le sujet de la dette africaine est donc plus que jamais au centre des débats. Entre une croissance économique insuffisante et une pression accrue liée à l’augmentation de la charge de la dette, la situation nécessite une action urgente. Après la crise financière internationale de 2008, de nombreux pays africains ont pu limiter l’impact de cette crise grâce à l’assistance des partenaires financiers internationaux, qui ont mis en place des réformes et des programmes de relance efficaces. Cependant, plus de dix ans après, malgré une période de croissance relativement positive, il semble que la situation de la dette menace les efforts réalisés durant cette décennie.

Il convient de souligner le rôle constant des institutions financières internationales, telles que le FMI, la Banque mondiale et les banques régionales, qui, en partenariat avec les institutions bilatérales, ont toujours été présentes pour soutenir les pays africains. Plusieurs initiatives, telles que le cadre commun de traitement de la dette, les programmes d’allègement de la dette, l’allocation de Droits de Tirage Spéciaux (DTS), ainsi que les initiatives en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE), ont été mises en place pour alléger le fardeau de la dette. Toutefois, ces solutions ponctuelles ne parviennent pas à rompre le cycle récurrent des crises de la dette, observées depuis 1973, 1986, 1998 et 2008.

Ainsi, si les efforts de soutien financier ont permis de limiter les effets de la dette, il convient de se poser la question de l’adéquation du cadre économique dans lequel évoluent les pays africains. La capacité de ces derniers à générer une croissance durable et endogène semble entravée par des défaillances structurelles majeures, notamment la faiblesse de l’épargne intérieure et des capacités limitées pour faire face aux défis économiques et sociaux. Il apparaît donc crucial que les réformes financières soient accompagnées de réformes économiques profondes, car la finance ne constitue qu’un instrument dont l’efficacité est compromise si le modèle économique des pays africains n’est pas adapté.

Les statistiques mondiales illustrent bien cette réalité : l’Afrique représente aujourd’hui seulement 3 % du commerce mondial, contre 16,5 % pour l’Union européenne, 11,5 % pour l’ASEAN et 30 % pour l’Amérique du Nord et du Centre. De même, le commerce intrarégional africain représente moins de 20 %, bien loin des 60 % enregistrés dans l’Union européenne, 50 % en Amérique du Nord et du Centre, et 25 % pour l’ASEAN. En termes d’investissements, l’Afrique ne représente que 1 % des IDE mondiaux, contre 45 % pour l’Amérique du Nord, 30 % pour l’Asie et 20 % pour l’Europe.

Ces chiffres soulignent l’intégration limitée de l’Afrique dans l’économie mondiale. Malgré des ressources naturelles considérables – l’Afrique détient plus de 40 % des réserves mondiales d’or et plus de 12 % des réserves pétrolières – elle reste largement exclue des chaînes de valeurs mondiales. Les efforts de l’Union africaine, notamment à travers la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAF) et le Plan d’Action pour le Développement Industriel Accéléré de l’Afrique, commencent à porter leurs fruits. Cependant, des progrès plus rapides et plus profonds sont nécessaires.

La question du traitement de la dette doit s’accompagner d’une révision radicale du modèle économique des pays africains. Il est désormais impératif de créer plus de valeur ajoutée sur le continent, en réduisant progressivement la dépendance à l’exportation de matières premières et en favorisant une véritable industrialisation. Seul un tel changement permettrait à l’Afrique de rompre avec la spirale de la dette et de s’engager sur la voie d’une croissance durable et inclusive.

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