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Anne de KERVASDOUE : « Il est urgent de réhabiliter le traitement hormonal de la ménopause »

Alors que la ménopause concerne près de 14 millions de femmes en France, elle reste largement ignorée par le système de santé. En 2025, un rapport parlementaire en fait enfin une priorité publique. Pour Anne de Kervasdoué, gynécologue, auteure et conférencière, cette reconnaissance arrive après deux décennies d’abandon médical. Elle appelle à une réhabilitation du traitement hormonal et à une meilleure formation des professionnels.  

VDA – Pendant longtemps, la ménopause est restée un sujet tabou, même dans le monde médical. Pourquoi, selon vous, a-t-il fallu attendre 2025 pour qu’un rapport parlementaire en fasse une priorité ?

Anne de Kervasdoué – Il était grand temps de se mobiliser ! La prise de conscience n’est pourtant pas nouvelle. Dès 1975, le Dr Denard Toulet publiait un ouvrage pionnier sur les troubles de la ménopause, proposant déjà des solutions, notamment hormonales. Aux États-Unis, le Dr Robert Wilson avait également marqué les esprits avec Feminine Forever. Dans les années 1980, aux côtés du Dr David Elia, j’ai moi-même contribué à alerter sur l’importance de la prise en charge hormonale dans Questions de femmes puis Au bonheur des femmes.

À cette époque, en France, plus de 50 % des femmes ménopausées suivaient un traitement hormonal « à la française », naturel, souvent prescrit sans crainte par les gynécologues, et même certains généralistes. Elles en retirent de vrais bénéfices : disparition des symptômes, regain d’énergie et prévention des maladies cardiovasculaires ou de l’ostéoporose, qui touche près de 40 % des femmes ménopausées.

Tout a basculé après la publication de l’étude américaine WHI (Women’s Health Initiative), menée de 1993 à 1998 sur 27 000 femmes, et interrompue prématurément en raison d’effets secondaires observés : phlébites, AVC, embolies pulmonaires, et dans une moindre mesure, cancers du sein. Publiée en 2002, cette étude a provoqué un véritable séisme. Les médias ont rendu ses conclusions sans nuance, semant la panique. Beaucoup de femmes ont alors interrompu leur traitement, malgré ses bienfaits.

Depuis, le traitement hormonal est diabolisé. Pourtant, les auteurs de l’étude WHI sont revenus sur leurs conclusions : patientes trop âgées, souvent en surpoids, traitements inadaptés, pris par voie orale et à des doses trop élevées. De nombreuses études récentes confirment que les risques ont été surestimés, et les bénéfices largement sous-évalués.

Aujourd’hui en France, 90 % des femmes ne bénéficient plus d’un traitement hormonal. Pourtant, à 50 ans, elles ont encore une espérance de vie de plus de 35 ans. Ignorer les risques liés à la carence en œstrogènes – fractures, maladies cardiovasculaires, troubles cognitifs – est une faute.

VDA – Le rapport évoque aussi un manque criant de formation des professionnels de santé. Est-ce ce que vous constatez dans votre pratique ?

A. de K. – C’est une réalité. La gynécologie médicale, reconnue en 1963, a été supprimée comme spécialité universitaire en 1984, ne laissant la place qu’à la gynécologie obstétrique, centrée sur l’accouchement. Pendant 17 ans, plus aucun médecin n’a été formé à la prise en charge spécifique des femmes hors grossesse. Ce n’est qu’en 2003, sous la pression des patientes, qu’elle a été introduite.

Mais les effectifs formés sont restés insuffisants, et beaucoup de gynécologues médicaux ont disparu. Ceux formés après 2003 ont, pour la plupart, peu abordé la question de la ménopause, car l’étude WHI venait tout juste d’être publiée. Ils ont préféré se consacrer à d’autres priorités médicales comme la PMA, les pathologies mammaires ou les infections virales.

Les généralistes se sont désintéressés du sujet, certains y étant même hostiles. Quant aux sages-femmes, elles ne reçoivent pas de formation adaptée sur ce thème. Résultat : les femmes se retrouvent souvent seules, sans repères, et finissent par recourir à des alternatives comme les compléments alimentaires, peu efficaces.

Le manque d’écoute et d’explication par un professionnel formé empêche l’adhésion au traitement hormonal. Et pourtant, les conséquences d’une carence prolongée en œstrogènes sont sérieuses : douleurs, sécheresse, arrêt de la vie sexuelle, ostéoporose, risques cognitifs. Il est urgent que l’État investisse dans cette spécialité.

VDA – Quels sont aujourd’hui les principaux freins à la prescription du THS (traitement hormonal substitutif) ?

A. de K. – Le contexte actuel n’est pas favorable. On observe un rejet croissant des traitements médicaux dits « chimiques », un pouvoir médiatique qui tend à diaboliser le THM, et une influence massive des réseaux sociaux, souvent dominée par des discours approximatifs.

Le principe de précaution, omniprésent, rend les médecins frileux. Beaucoup n’ont pas reçu de formation sur les hormones, ou en ont gardé une image déformée. À cela s’ajoute une défiance généralisée envers l’industrie pharmaceutique, et une véritable hormonophobie s’est installée, au point que même les jeunes femmes refusent désormais la pilule.

Cette réticence est paradoxale : on autorise volontiers la prescription d’hormones à des adolescents en transition de genre, mais on la refuse à des femmes de 50 ans pour traiter une carence avérée !

Je pense qu’il faudrait réserver la prescription du THM à des professionnels formés, capables de proposer un traitement personnalisé. J’ai écrit plusieurs ouvrages sur ce sujet, et donné une conférence pour la MGEN en 2024, suivie par près de 1 000 personnes. Le besoin d’information est immense. Le moment est venu de sortir de l’ignorance.

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